Courage

90% des photos qui ne sont pas prises ne le sont pas par manque de courage. Celui d’approcher un.e inconnu.e. 

La parade ? Passer à l’action avant que le cerveau ne bloque notre élan (“je vais le déranger”, “elle est peut être pressée”, “je vais paraître intrusive”…) 

La vérité c’est que dans la plupart des cas, les gens sont flattés et vous raconteront leur histoire. C’est comme pour le syndrome de la page planche: “Il suffit d’écrire une phrase”. En photo, il suffit de dire Bonjour. 

Voici Phoenix, photographiée durant l’exposition William Klein: YES à @ICP. Ses bijoux m’ont intriguée. En tant que pratiquante de la religion vaudou et de l’ifa, une phase de transition importante l’a amenée à couper ses cheveux. On a discuté puis je lui ai demandé de la photographier dans un coin de la pièce où se rejoignent un pan de mur rouge et un pan de mur noir. Elle se met face au coin, et me dit “attend excuse-moi, c’est trop fort. Esu/Eleggua, c’est ce dieu vêtu de rouge et de noir qui symbolise la séparation (crossroads).” C’est ce qui était matérialisé par le bijou qu’elle portait sur sa tête. 

Rien de tout ça n’aurait eu lieu si je m’étais retenue de dire Bonjour.



Conventions

 ✍🏻 Quand j’étais stagiaire à l’étranger il y a quelques années, j’ai décidé d’occuper le reste de mon temps à prendre des cours de dessin d’observation. A cette époque je faisais beaucoup de peinture abstraite — ce que j’ai jamais dit c’est j’étais fondamentalement nulle pour recréer des formes réelles sur toile.

📖 Quelques séances passent, et en l’absence de progrès notable, je demande au prof s’il a un bouquin à me conseiller. Il part fouiller dans un des “lockers” du fond de la salle (de ceux qu’on voit dans les vestiaires de films américains). Et en sort un livre un peu poussiéreux daté des années 1970.

J’ai dévoré ledit livre en une nuit. Ce que j’ai compris en un Eurêka!, c’est que tout ce temps, j’avais mis une emphase disproportionnée sur le mot “dessin” par rapport au mot “observation.”

💡En une nuit, j’ai appris non pas à m’améliorer en travaillant plus (”work harder”) mais en travaillant mieux (”work smarter”).

Concrètement, que m’a appris ce bouquin? Que nos imaginaires sont pleins de symboles. Les symboles sont une forme de “norme” visuelle qui certes, simplifient, mais parfois, étriquent.

🔺 Un oeil ? Un cercle au centre d’un losange arrondi.

🔺 Une main ? Un carré serti de 5… boudins (?)

🔺 Une voiture ? Un petit rectangle par dessus un grand rectangle par dessus deux cercles.

Ce que j’ai compris, c’est qu’en faisant complètement fi de ces symboles, on libère soudain notre capacité à vraiment *voir.*

🧐 A comprendre que telle ligne est plus petite que ce qu’on pense, que telle forme est créée par un jeu d’ombre et non par un trait - etc. On ne parle pas d’oeil, de main, ou de chaussette de Noël en pensant aux formes connues par notre cerveau. On assemble des tracés, des ombres plus ou moins sombres… Et au début, ça ressemble plus ou moins… à rien.

🙃 D’ailleurs une technique du bouquin consistait à dessiner l’objet à l’envers pour piéger notre cerveau, et le forcer à écarter la symbolique des formes qu’il connait !

Ou comment oublier la norme pour mieux se concentrer non pas sur ce qu’on croit voir, mais sur ce qu’on voit vraiment.

🎭 Tout ça pour dire que parfois, oublier les conventions pour mieux se rapprocher du « vrai », c’est plutôt canon — même si au début, le cerveau ne comprend pas trop.

Dessin : Poésie en confinement, 2020.

Le livre en réédition  👉 ici 


Unpopular opinion

Le monde se scandalise des portraits du couple présidentiel ukrainien pris par Annie Leibovitz pour Vogue. Pas moi.

On s’oblige à avoir une opinion sur tout, et à s’indigner à la place des autres.

🐥 Une réponse au post d’Annie Leibovitz sur Twitter m’a interpellée “This keeps it relevant in the only way modern culture can see, grasp, or understand.”

Préfèrerait-on plutôt normaliser cette guerre ? Les débats sans fin autour du caractère “politiquement correct” de ces photos n’ont-ils pas ramené nos yeux fatigués vers un conflit qui continue pourtant de s’éterniser et de tuer ?

🔫  L’article cite Zelenska : “I’m asking for something I would never want to ask for: I am asking for weapons (…) to protect one’s home and the right to wake up alive in that home.” Et plus loin, Tetyana Solovey, ex-editrice de Vogue Ukraine “At the start of the war, “the whole media landscape was: ‘Biden said,’ ‘Boris Johnson said,’ (…) “Her presence in the media helps give this sense of agency to Ukraine (…).” 

Et quand la mode y fait son apparition, c’est pour souligner les détails jaune et bleu de ses baskets, en hommage au drapeau Ukrainien et à la levée de fonds organisée par la marque The Coat (vous en avez fait une, vous, une levée de fonds ?). Plus loin, la contradiction est marquée en toutes lettres “It is strange to talk about Ukrainian extermination and Ukrainian fashion in the same conversation, and yet this is the cognitive dissonance of today’s Ukraine, where designers and professionals of all kinds are mobilizing at home and abroad to support their country”

Alors quoi ? Le manteau manque de kaki ? Poser semble indigne ? Ou est-ce la présence de militaires peut-être (n’ont ils pas droit à un hommage eux aussi ?) Et le champ de bataille, n’est-ce pas la réalité du terrain ?

Franchement, give me a break. 

🤚 Ce couple n’est-il pas au front sans relâche depuis des mois ? A-t-on oublié la fierté exprimée par les ukrainien.ne.s de voir un président qui fait face avec aplomb ? Qui a inspiré la diaspora à se rapatrier pour aider au front — hommes et femmes confondus ? N’ont-ils pas prouvé leur allégeance au pays ?

Est-ce que c’est Vogue qu’on fustige ? La photographe ? Ou la volonté qu’aura eu un couple présidentiel plutôt époustouflant d’inspirer les siens à travers une image de grâce, de persévérance, de courage ?

On vit dans une société qui promeut la réaction à chaud et l’indignation permanente – surtout envers les “puissants”. Et croyez moi, je suis loin d’être épargnée; mais là, je suis aussi loin d’être d’accord. 

👩🏻‍💻 Du haut de nos MacBook 13 pouces, qu’a-t-on vraiment à dire des choix d’un couple présidentiel qui depuis des mois tient tête à un dictateur dangeureux et mégalo ? Qui tente, tant bien que mal, de ramener les yeux de la communauté internationale vers sa cause ?

Dans un monde où la rapidité des évènements n’a d’égal que notre capacité à zapper… Honnêtement, pas grand chose.

Et là en tout cas, on ne zappe pas.


Lien vers l’article.

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